Fabriquer le monde. Le pouvoir des storyworlds.
[Chapeau]
Où l’on rencontre l’espèce fabulatrice qui utilise les récits et le langage pour traiter le réel et construire la réalité. Où l’on voit comment les langues elles-mêmes sont des récits et conditionnent notre rapport au monde (psychomécanique, grammatisation). Où l’on s’intéresse aux langues dans les langues, celles qui unissent les membres d’une communauté et écartent les autres (allosyntaxe, sens commun). Où l’on admet qu’une allosyntaxe « programme » (idéologie). Où l’on découvre comment certains récits ont la prétention de gouverner les hommes et y arrivent (performativité). Où l’on dépasse la notion de récit pour embrasser celle de storyworld (mythopoïèse). Où l’on s’avise qu’un storyworld est perçu comme une fantaisie par les uns et comme la loi du réel par les autres. Où l’on observe les jeux d’alliance et de rivalité pour gouverner le monde entre les différents types de storyworlds performatifs (religieux, économiques et politiques). Où l’on perçoit que les storyworlds sont mus par un mouvement automatique de propagation (conatus, sujet automate).
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[À retenir]
Nous traitons les événements du monde, le réel, en les mettant en récits avec le langage et avec nos cadres de références : nous en faisons notre réalité. Cet appareil symbolique qui nous permet de traiter le réel pour en faire notre réalité est un « storyworld ».
Nous utilisons plusieurs types et plusieurs niveaux de storyworlds. Certains de ces storyworlds sont exclusivement les nôtres, d’autres sont partagés avec une communauté.
Ces storyworlds partagés peuvent avoir la prétention de gouverner le monde et de prescrire nos modes de vie. Ils sont « performatifs ». Ils ont une tendance à l’expansion et à la propagation. Entre eux se jouent des rivalités et des alliances. Au niveau collectif, les storyworlds performatifs sont d’ordre religieux, économique ou politique, parfois scientifique.
Les autres storyworlds sont clairement identifiés comme des fictions : ils respectent la frontière du réel, ils ouvrent un monde à part, une représentation du réel, une « mimesis ». Ils sont mimétiques.
Parmi les storyworlds mimétiques, on trouve des storyworlds artistiques, ludiques, et sportifs. Bien sûr, dans l’absolu, un storyworld mimétique peut aussi avoir des prétentions performatives.
Parmi les storyworlds performatifs, il convient également de classer notre storyworld personnel qui préside à la perception que nous avons de nous-mêmes et qui conditionne nos fonctionnements.
Chaque storyworld collectif développe une manière de parler, une « allosyntaxe ». L’allosyntaxe est partagée par les locuteurs du storyworld, ceux qui y croient (groupe sociolectal). Pour les autres, elle peut être hermétique. L’allosyntaxe formate les discours, les idées et les récits. Elle fait partie de l’ADN ou « modèle » d’un storyworld, ce qui lui permet d’exister et de se reproduire (mythopoïèse, conatus).