Mécanique des storyworlds. Crise de la signification
[Chapeau]
Où l’on se familiarise avec la notion de « modèle » d’un storyworld. Où l’on pointe que le modèle permet la propagation et l’individuation d’un storyworld (transduction). Où l’on alerte sur la dérive qui mène du modèle à l’idéologie. Où l’on prend connaissance de la logique conceptuelle. Où l’examen de la logique conceptuelle permet de continuer à différencier le totalitaire et le démocratique. Où l’on introduit les trois storyworlds qui servent d’exemples (néolibéral, illibéral et intersectionnel). Où l’on prend la précaution de souligner que l’objet d’étude est la perception commune du modèle (doxa). Où l’on utilise les trois exemples pour exposer les catégories centrales du modèle des storyworlds : la logique conceptuelle, la vision du monde, la promesse, la logique conflictuelle, les archétypes du Bien et du Mal. Où l’on établit la différence entre la violence réelle et la violence ressentie. Où l’on décortique le phénomène qui mène de la catégorisation à la fétichisation. Où l’on constate que, par fétichisation, les signes de la langue sont dégradés au statut de signaux d’un code. Où l’on rappelle que cette dégradation a toujours été un outil du totalitarisme. Où l’on est initié à la « signifiance », faculté humaine liée au corps et à la survie. Où l’on apprend que la linguistique à la française est une linguistique des profondeurs, de la signifiance, à la différence des approches dominantes. Où l’on se rend compte que le mouvement de « l’intelligence artificielle » relève d’un storyworld computamorphique qui promeut le négationnisme de la signifiance, de l’intelligence, de la conscience et de l’humain. Où l’on regrette les effets de l’adoption massive de l’allosyntaxe computamorphique. Où l’on conclut que les deux crises de la signifiance et de la représentation atrophient notre capacité à discerner ce qui relève du fictif et nous rendent plus vulnérables à la manipulation.
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[À retenir]
Nous intégrons des storyworlds et leur machine à interpréter le monde, leur modèle, en menant notre vie, en fréquentant nos cercles relationnels et en naviguant dans le Storyworld. Le modèle d’un storyworld a une structuration type qu’il est possible de mettre au jour pour reconnaître ses productions, ses influences et ses dérives idéologiques.
À force d’être utilisé, le modèle crée des répertoires qui raccourcissent l’effort de traitement du réel. Le storytelling exploite ces répertoires pour propager le storyworld, gagner en hégémonie et convertir les esprits à force de répétition. Ces répertoires finissent par pétrifier le réel dans une logique conflictuelle qui sépare le bien et le mal, les bons et les méchants. Ce processus correspond au phénomène de la fétichisation. Il facilite la manipulation des foules et de leurs affects, notamment au travers de l’éveil d’une « violence ressentie », indépendante de l’existence d’une « violence réelle ».
La fétichisation s’effectue sur plusieurs niveaux jusqu’à atteindre les mots pour les vider de leur sens et les transformer en signaux, lesquels mettent émotivement les foules en mouvement, dans l’adhésion ou dans le rejet. Cette crise de la signifiance est accentuée par une idéologie qui est née dans les années 1940, portée par les sciences informatiques, cybernétiques et cognitives : le storyworld computamorphique qui assimile l’homme et son cerveau à l’ordinateur, et qui nie le rôle de la signifiance dans le langage et l’intelligence.
Trois storyworlds ont servi d’exemple à l’exposition des catégories centrales du modèle des storyworlds : le néolibéral, l’illibéral et l’intersectionnel.
Le storyworld néolibéral structure actuellement notre société globalisée de marché. Il utilise comme boussole le profit. Il n’est pas exempt de dérive par rapport au réel, car il s’avère incapable de remettre en cause sa vision du monde ou sa logique conceptuelle quand elles ne produisent pas les effets escomptés. Il forge le réel via des outils performatifs tels que les lois sur la propriété ou les indicateurs comptables, économiques et financiers.
Le storyworld illibéral est celui qui s’impose actuellement au niveau global. Il est reconnaissable par la promotion des valeurs traditionnelles et l’appel à la force pour contrer tout ce qui les menace. Le storyworld illibéral n’hésite pas à inventer des faits alternatifs. Quand il est au pouvoir, il n’accepte pas l’existence, ni la promotion d’autres storyworlds. Il est totalitaire.
Quant au storyworld intersectionnel, il concurrence les deux autres en Occident et gagne en attractivité auprès des cercles intellectuels et de la jeunesse. Il cherche avant tout à protéger les plus faibles et à lutter contre toutes les formes de discrimination. Sa fétichisation mène à séparer le monde entre les oppresseurs et les victimes, en absolvant absolument les victimes et en condamnant absolument les dominants. Le storyworld intersectionnel occidental intègre le storyworld décolonial, mais l’inverse n’est pas vrai.
Le storyworld décolonial est intégré, dans le Sud global, à des storyworlds illibéraux, voire théocrates.
Les storyworlds intersectionnel et décolonial sont révisionnistes et parfois négationnistes.