Chapitre 2

Basculer dans la fiction totale. Crise de la représentation

[Chapeau]

Où l’on met au jour la manière dont la langue peut dire deux choses en même temps (double entente). Où l’on réalise que pour repérer et comprendre le sens en plus, il faut connaître le storyworld et ses facettes (répertoire sémiotique, structures narratives et thématiques, corpus). Où l’on montre qu’un storyworld est un texte transmédia que l’on peut déchiffrer (herméneutique). Où il s’ensuit que « le » Storyworld constitue un double textuel du réel. Où s’effondre le mythe de l’homme moderne rationaliste et positif qui aurait cessé de vivre dans ses récits. Où l’on accepte que nous « faisons comme si » nos storyworlds étaient le réel (make-believe, pacte de vraisemblance). Où il en découle que nous formons tous ensemble, avec notre jeu collectif de « faire comme si », un espace intermédiaire, une vérité fictionnelle partagée (mimesis). Où l’on s’aperçoit que « fictionnel » n’est pas équivalent à « fictif ». Où l’on opère la distinction entre les storyworlds réalistes (consensuel ou révisionniste) et fictifs (erroné, falsifié, délirant ou mensonger). Où il est proposé d’opposer le démocratique au totalitaire en fonction de la promotion d’un storyworld réaliste ou fictif. Où l’on examine le phénomène du mensonge en politique et du peu de cas qu’en font les électeurs. Où l’on en cherche l’explication dans le basculement que nous opérons de la « présence » à la « représentation » et de la « réalité » à la « mimesis » dans le Storyworld. Où l’on reconnaît le rôle qu’a joué le storytelling dans l’avènement du Storyworld en tant que Spectacle immersif. Où il en ressort que les politiques ne sont plus que des personnages dont on n’attend rien d’autre que de jouer leur propre caricature.

[À retenir]

Un storyworld désigne un ensemble de règles et de répertoires (linguistiques, rhétoriques, sémiotiques, thématiques, narratifs) qui génère des énoncés et du contenu. Cet univers permet à ses adeptes de s’entendre (connivence, accès aux allusions ou « double entente »). Il est « texte » et peut être analysé en tant que tel. On parle d’« herméneutique ». Il faut comprendre le « texte » comme la transcription de tout type de données.
De la même manière, en plus d’être un spectacle immersif, « le » Storyworld est, lui aussi, « texte ». Il peut être comparé au double textuel du réel. Aux deux niveaux du spectaculaire et du texte, le Storyworld est une « représentation », une mimesis.
En son sein, nous aussi, nous sommes une représentation. Nous écrasons notre « présence » au monde avec une « représentation » de nous-mêmes. Il en résulte une forme de trouble cognitif qui nous rend plus enclins à accepter des storyworlds qui s’éloignent du réel, qui le nient ou l’inventent, des storyworlds fictifs (crise de la représentation). Les storyworlds fictifs peuvent être délirants ou mensongers, négationnistes ou alternatifs.
Pour réussir à accepter la fantaisie collective d’un storyworld, nous passons un « pacte de vraisemblance », comme dans ces jeux où les enfants « font comme si » (make-believe). Ce pacte de vraisemblance peut aller jusqu’à confondre ce qui est « vrai dans un storyworld fictif » avec ce qui est vrai dans le réel.
La dimension collective de ce pacte de vraisemblance agit comme une obligation de loyauté et entraîne l’acceptation de l’invraisemblable
Mais tous les storyworlds ne sont pas fictifs. Certains font de leur mieux pour rester fidèles au réel et aux faits bruts : ils sont réalistes. Les storyworlds réalistes peuvent être conformes au consensus ou révisionnistes.
Il est possible de distinguer le démocratique et le totalitaire en fonction du type de storyworld qui les structure. Un storyworld démocratique cherche à être réaliste et tolérant, il accepte que d’autres storyworlds existent et s’expriment. Un storyworld totalitaire est fictif, mensonger et intolérant. Il n’accepte pas l’existence des autres storyworlds. Il fait tout ce qu’il peut pour les détruire.
Démocratique ou totalitaire, dans le Storyworld, la démarche politique est désormais réduite à un spectacle où, pour prendre le premier rôle, les protagonistes se transforment en personnages de série, aux traits de plus en plus caricaturaux, voire grotesques.